Le regard évasif. Le regard qui se perd. Contemplant l'immensité de ce ciel. Rire enfantin en écho, bazar dans la pièce, il se fourvoyait dans tout ce chaos. Les yeux brillants, le sourire mutin pourtant ce soir, tu ne voulais pas te mêler à la discorde familiale. Juste une histoire de place sur le canapé dont tu n'étais pas responsable pour une fois. Non, ses pensées dérivaient vers l'océan d'étoiles qu'offrait le ciel. Dans cette immensité de gratte-ciels tu parvenais à trouver un coin où le plafond céleste se montrait. Il était émerveillé. « Tu vois, là-bas ?! » Son visage tourna vers la personne qui l'avait interpellé. Curieux de découvrir qui venait le dérober dans son intimité. C'était papa. Le teint rosé par la bouteille de vin qu'il avait consommé, tout à l'heure, à table. Les traits fatigués montrant l’acharnement d'un homme de travail, un homme politique. Ses iris reflétaient la couleur de la nuit, tâchaient de quelques points blancs, miroir des étoiles. C'était beau. Ans suivit alors la trajectoire de son regard pour finalement suivre le geste de sa main qui dessinait l'enchaînement de quelques étoiles. Sans aucune réponse de ta part, il continua : « c'est la constellation de la Grande Ours. » Rien que les mots qu'il utilisait lui semblaient être poétique. Médusé devant tant de savoir, ses yeux le regardaient avec une certaine admiration. Déposant sur le visage de son parternel un sentiment de savoir universel. Comme s'il détenait l'absolue vérité de toutes tes questions. Le monde était fou, un peu bancal et pourtant tes iris crépitaient à l'entente des chants provenant des volatiles, à la vue du nuancier céleste et aux mille douceurs du vent. Et pour Ans, son papa avait la clé de l'univers entre ses mains. Il était grand, fort et sage. « Papa, pourquoi ça s'appelle comme ça ? » Avec sa petite voix enfantine, cherchant désespéramment des réponses alors que son père, conteur d'histoire enchantées commença son récit : « à l'époque des dieux de l'olympe, il y avait une femme, digne d'une vénusté au nom de Callisto. Fidèle de Diane, elle avait juré chasteté. Cependant, le dieu des dieux épris de la beauté de la jeune femme ne perdit pas une seconde avant d'en faire une amante. Sa femme Junon engouait d'une crise de jalousie, décida de transformer l'amante de Jupiter en ours. Quant à Diane, elle sut quelques temps auparavant que sa fidèle avait rompu sa promesse alors elle se mit à la chasser. » Son histoire était enivrante, touché par l'aventure romantique de Callisto, Ans mit une main devant la bouche. Curieux mais surpris il souhaitait qu'il ne lui arrive rien dans la suite de l'histoire. Son père sourit face à sa mine, petit enfant coriace qui ressemblait à un grand guerrier pour son père déjà. Sa main vint caresser sa joue d'une délicatesse exquise.« Jupiter responsable de cette disconvenance, pris la décision de transformer Callisto en constellation afin qu'elle soit hors de danger. Ainsi, la nuit tombée, elle apparaissait donnant alors le nom de Grande Ourse à cette enchaînement d'étoiles. » Ce n'était pas papa qui avait dit ses mots. Mais maman. Arrivée de nulle part, aux côtés May. Sa jumelle. Sa bouche s'arrondit, ébahi devant une telle poésie. L'amour faisait faire de telle chose. Il se faisait tard, il le savait. Pourtant il ne voulait pas bouger, il ne voulait pas quitter des yeux ce plafond miraculeux. Rester ici, allongé sur le toit de cette immeuble bien trop grand pour son petit corps, à contempler et découvrir les secrets de ce ciel. Tandis que son père s'apprêtait à se retirer, Ans l'interrompit. « Papa, est-ce que tu transformeras maman en constellation ? » Des yeux remplis d'innocence, il lui sourit simplement. Juste un haussement des commissures des lèvres, une énigmatique réponse qui le rendait pantois. Ans lui vouait un culte ; il était la représentation de cet aventurier du passé, le seul à connaître les secrets de ce monde. Et maman elle souriait. Un complot qui le rendait toujours admiratif.

« Bouge tes pieds d’là. » S’exclame l’adolescent, une grimace défigurant son visage alors que sa sœur, elle, ne peut s’empêcher d’arborer un sourire satisfait en approchant encore un peu plus ses pieds de son nez. « T’as qu’à m’donner la télécommande. » Ah, la télécommande. Le précieux. L’objet qui a séparé plus d’une famille, la cause d’un fratricide sur deux. « Crève ! » Un dialogue aussi posé, des échanges agréables et toujours polis… Voilà ce sur quoi se basent leur relation. « T’avais qu’à arriver avant. » Rajoute t-il, décidé, les yeux rivés sur la télévision, essayant d’ignorer de son mieux le gros orteil de May qui s’enfonce dans son oreille. Dans le genre casse-noisettes (restons polis), on ne fait pas mieux que la jumelle des Rothschild… Et malheureusement, Ans est loin d’être patient. « Dégage ! » ordonne t-il en se redressant, s’apprêtant à lui pincer la jambe… Mais, la sonnette retentit, l'arrêtant dans son élan. Les deux enfants se figent, se toisent quelques secondes du regard. Quelqu’un vient de sonner. L’un d’eux doit se lever et ouvrir la porte. Or, aucun n’a envie de lever ses fesses du canapé. Fainéant, voilà un terme qui décrirait à merveille le frère comme la sœur. « T’es l’plus près. » s’empresse d’argumenter la fillette. « C'est toujours moi qui y vait ! » « C’est même pas vrai ! » Correction, fainéant et têtu. « Pierre, feuille, ciseaux ? » propose May, en avançant son poing, clos, geste qu’imite aussitôt Ans. « Pierre, feuille, ciseaux. » Voilà comment se régler ce genre de conflits chez les Rothschild. Un soupire. Un cri de joie. « Sois pas dég. » « J’te déteste. »