ailionora avait toujours eu une santé fragile, son système immunitaire n’ayant aucune résistance. S’il y avait une épidémie de grippe, la rouquine l’attrapait dans la foulée. Ça ne s’était pas arrangé, en grandissant. Au contraire. On ne pouvait pas dire que ça s’était empiré, mais, elle tombait toujours autant malade. D’ailleurs, aujourd’hui c’était le cas. Elle s’était réveillée, plusieurs fois dans la nuit, à cause de la toux. Sa gorge brulait, des frissons parcouraient son corps alors qu’elle n’avait pas froid, elle avait l’impression que sa tête allait exploser, tout son corps la faisait souffrir, son nez était complètement bouché. Très mauvaise nouvelle, ça. Merde, mais comment Ailionora allait-elle faire pour son internat ? Elle ne pouvait pas contaminer d’autres personnes, mais il ne fallait pas qu’elle rate une journée, si elle voulait être la meilleure de son année. Oh, et puis merde. Un petit médicament pour le mal de crâne, un sirop pour la gorge, et sa journée pouvait commencer. Ça allait être long. Très long. Et ce fut le cas, d’ailleurs. Il lui fallut un peu de maquillage, pour cacher sa nuit mouvementée et son masque de fille parfaite, pour que personne ne remarque qu’elle se sentait mal. Il était dix heures, quand sa pause vint. Enfin. Nora n’avait qu’un quart d’heure, mais ça serait déjà mieux que rien. Se dirigeant jusqu’à la salle de repos, d’un pas lent, moins assuré que d’habitude, elle ressentit le besoin de se retenir à un mur. Oh dieu. Tout tournait autour d’elle, ça n’allait pas. Qu’est-ce que ce serait, à la fin de la journée ? Sans qu’elle s’y attende, elle sentit deux mains, pour la soutenir. Ailionora eut l’envie de se retourner, pour dire qu’elle n’avait pas besoin d’aide, mais elle n’en eut pas la force. Peut-être qu’elle pouvait laisser quelqu’un s’occuper d’elle, juste une fois ? C’était un crime, de se laisser aller ? Sûrement, mais la rouquine n’arrivait pas à lutter. Délicatement, la rouquine laissa sa tête tomber contre l’épaule de la personne qui la maintenait debout, fermant ses yeux pour se reposer un instant. Ses jambes menaçaient de la lâcher, dangereusement. Son corps était brûlant, alors qu’elle tremblait.

Ailionora voyait flou, tout tournait, elle avait l’impression d’être dans un manège à sensation et de ne plus rien y voir, tellement ça allait vite. Alors qu’il n’en était rien et il n’y aurait pas eu une paire de bras pour la retenir, la rouquine serait probablement tombée par terre. Merde. Qu’est-ce qu’elle devait faire, alors qu’on la retenait ? Essayer de s’échapper, fuir continuellement ? Feindre d’avoir eu un vertige et repartir se cacher dans la salle de repos ? Renvoyer chier la personne qui venait de la rattraper ? Non. Non. Rien de tout ça, parce qu’elle n’avait pas la force de laisser ses murs. Ils s’effondraient, parce qu’elle n’arrivait pas à les maintenir. Ça lui demandait trop d’énergie, celle qu’elle n’avait pas. Peut-être qu’aujourd’hui, elle pourrait se laisser faire. Qu’est-ce que ça pourrait lui faire de mal ? Ses parents, ils diraient qu’elle est trop faible. Comme toujours. Ailionora commençait à avoir l’habitude, depuis le temps. Ça lui faisait toujours aussi mal, mais… c’était comme ça et pas autrement. S’ils lui répétaient, c’est que ça devait être vrai, au fond. Elle n’était qu’une moins que rien, faible, déviante, détestée. Merde, aujourd’hui c’était le bon moment pour leur prouver qu’elle n’était pas faible et son corps s’était décidé à la laisser tomber, comme s’il voulait qu’elle reste le vilain petit canard jusqu’à la fin. Ailionora soupira, la tête sur l’épaule de sa sauveuse, respirant son odeur…d’ailleurs, qu’est-ce que ça sentait ? Ça sentait l’été, quelque chose d’exotique. La noix de coco. Voilà. C’était ça, l’odeur qui la réconfortait dans les bras de la brune. La rouquine n’avait pas pris le temps de regarder sa sauveuse, mais au vu de sa chevelure qui lui chatouillait le nez, il semblait que ça soit une femme. Brune. Sentant la noix de coco. Ailionora ferma les yeux, un court instant, alors que sa sauveuse ne se déplace en la soutenant. Il lui semblait bien, qu’elle avait parlé, mais elle était dans le brouillard et n’arrivait pas à capter ce qu’il se passait autour d’elle.

Il n’y eut pas beaucoup de chemin, jusqu’à la salle de repos, mais ce fut très long aux yeux de la rousse. Très long, très fatigant, très douloureux. Son corps avait décidé de la faire souffrir d’affreuses courbatures, alors qu’elle se battait déjà contre la fièvre, le mal de crâne et la toux. L’énergie quittait son corps, tout devenait de plus en plus difficile à faire. Marcher, c’était un vrai calvaire. Alors, quand son corps fut allongé sur le canapé de la salle de repos, elle souffla. Elle était soulagée. Encore plus, quand on posa un gant frai sur son front brûlant. Elle rouvrit ses yeux, sa vue était légèrement moins trouble. Micah. L’inconnue, brune à l’odeur de noix de coco, c’était Micah. Au fond, Ailionora fut soulagée de voir un visage familier, du moins, quelqu’un qui ne lui était pas totalement inconnu. « Je ne veux pas décevoir ma famille », murmura la rouquine, d’une voix rauque, quand la brunette lui reprocha d’être venue. Mais bon sang, qu’est-ce qu’elle venait de dire ?! Ailionora O’Bryan, la fille avec les plus grands murs jamais créés, venait de se confier sur sa vie alors qu’elle s’était promise de ne jamais le faire. Bon. Il fallait dire qu’elle n’était pas elle-même, elle allait sûrement le regretter plus tard. « Apparemment, je suis faible. Ils ont sûrement raison ». Aili ferma les yeux, de nouveau, après avoir émis un rire nerveux. Ses barrières tombaient contre sa volonté. Devait-être rentrer ? Ouais, sûrement. Elle n’était pas en état de continuer, c’était dangereux pour elle et pour les patients. « J’étais avec le docteur Johnson, en pédiatrie », répondit-elle avant d’être prise d’une crise de toux.

Ailionora émit un rire. Rauque, faible, ironique. On avait toujours l’image de la famille aimante, avec des parents présents, qui soutenaient leurs enfants et leur apprenait à évoluer correctement dans la société. La rouquine n’avait pas eu tout ça. Les câlins, les histoires, les sorties au cinéma, dormir dans leur lit, le réconfort de leurs bras. Rien. Quand ça n’allait pas, elle refoulait. On lui avait interdit, de ressentir des choses. On l’avait bridé, parce que tout ce qu’on voulait d’elle, c’est qu’elle soit parfaite. Alors, oui, c’est normal d’être malade…mais aux yeux de ses parents, ça n’était pas normal d’être faible et de ne pas tenir debout. Père, mère, n’avaient jamais trouvé utile de s’arrêter à cause d’une fièvre. Ils trouvaient ça pitoyable. Déplorable. Ça leur faisait honte, d’avoir une fille comme ça. Elle était frêle, sans intérêt, si ce n’est que de faire un bon mariage et de ne pas trop les mettre dans l’embarra. S’ils n’avaient pas su l’aimer, ils avaient réussi à la rabaisser sans cesse. Ça, ils savaient très bien le faire. « J’avais oublié qu’on ne venait pas du même monde », répondit-elle sèchement, en ne détournant pas ses yeux bruns. Malgré son état, c’était le grand retour de la carapace. Personne ne peut aimer une fille comme toi, tu nous fais honte. Avait-elle entendu, toute sa vie. On ne l’aimait que par intérêt, ça n’était même plus de l’amour, à ce stade. Personne ne l’aimait. Personne ne s’intéressait à sans arrière-pensée. Personne ne...Quoi ? Micah ne la trouvait pas faible ? Impossible, parce que c’est ce qu’elle était. Ailionora secoua légèrement la tête. Ça se voyait qu’elle ne la connaissait pas. Nora n’avait aucune qualité. Où qu’elle aille, elle n’apportait que de mauvaises choses. Que des problèmes.

Ailionora rumina quelques secondes, quand Micah partit, avant de s’écrouler de fatigue et de tomber dans un sommeil profond. Il y eut un cauchemar, qui tourmenta son précieux sommeil. Il y avait Liam, allongé dans la salle d’autopsie, sans vie, un trou entre les deux yeux. Au fond, ça n’était un violent souvenir. Ça n’était qu’une vision qui hantait la rouquine, qui venait parasiter son sommeil, perturber ses nuits. Quand elle fermait les yeux, ça revenait. Sans cesse. Alors, oui. Quand Micah revint, Ailionora était agitée. Malade, le fait de mal dormir n’arrangeait pas les choses. La rouquine ouvrit brusquement les yeux, se redressant trop vite au goût de son corps. Tout tournait, de nouveau et elle poussa un long gémissement. « Non, mon manteau fera l’affaire », murmura-t-elle d’une voix plus rauque que précédemment. Aili repoussa légèrement la couverture de son corps, un frisson la parcourant. Petit à petit, la rouquine passa d’une position assise à debout, se tenant fermement à la brunette à côté d’elle. Il fallut du temps, avant d’arriver à la voiture de celle-ci. Ailionora s’effondra. Ça tournait encore plus, il fallait juste qu’elle ferme les yeux. Ce qu’elle fit, sa tête reposant sur la vitre. Sa respiration était lourde et difficile. « Qu’est-ce que vont dire père et mère, de ça… », se le murmura-t-elle pour elle-même, alors qu’elle tombait petit à petit dans un sommeil.

Il n’y eut pas une minute, où Ailionora fut paisible. Tout était réuni, afin que la rouquine n’arrive pas à se reposer. D’abord, les cauchemars. Ils revenaient, plus ou moins forts. Ça mettait toujours en scène l’assassinat de son jumeau, de l’unique amour de sa vie. Des coups de feu, puissants, violents, détonnant dans l’esprit de la rousse. Ça semblait tellement réel. Peut-être parce qu’elle l’avait vécu, qu’elle l’avait entendu. C’était un souvenir. « Liam », gémissait-elle dans son sommeil. Ça la hantait, cette journée. Cette semaine. D’abord, la mort de son frère. Ensuite, la reconnaissance à la morgue. Et l’enterrement. Le deuil. Ça faisait un an, mais Ailionora souffrait autant. A chaque fois qu’elle fermait les yeux, elle revivait tout ça, inlassablement. Il n’y avait pas un jour où la rouquine ne s’en voulait pas, d’avoir été paralysée par la peur. Bon sang, qu’est-ce qu’elle était faible. On aurait retrouvé le tueur de son frère, si elle n’était pas restée dans son coin, les genoux rapprochés contre la poitrine, le cœur battant à mille à l’heure, les larmes coulant à flot sur ses joues pâles. Peut-être même qu’il serait encore en vie. Témoin du meurtre, elle racontait à la police ce qu’elle avait entendu. Au loin, elle voyait ses parents. Toujours froids, toujours impassibles. On ne change pas une équipe qui gagne. Et pourtant, il n’avait fallu qu’un regard de sa mère, pour qu’Ailionora comprenne qu’elle lui en voulait à mort. Comme si, ça ne suffisait pas. Ça n’avait entrainé qu’une peine encore plus profonde, un trou béant dans le cœur de la rousse. Quelque chose qui ne voulait pas se refermer, qui était ouvert depuis trop longtemps. Et dans son sommeil, elle revivait tout ça. Dans les moindres détails. Ailionora était condamnée à souffrir, encore et encore. Jusqu’à ce que la mort ne la sépare de ces souvenirs.

Cauchemars, ça venait et ça partait aussi vite. Ailionora s’agitait, dans le grand lit, dans un état préoccupant. La rouquine avait du mal à respirer, sa poitrine était lourde et ça sifflait, dès qu’elle expirait. Quelques gouttes coulaient de la base de son front, glissant sur sa peau cadavérique, alors qu’elle était prise de tremblements. La fièvre s’installait un peu plus, montant petit à petit. Au bout d’une heure, Ailionora atteignit presque quarante degrés. Ça n’était pas bon signe. Ça dura un moment, avant que ça ne commence à se calmer grâce aux bons soins de Micah. Peut-être trois heures. Peut-être quatre. Au même moment, la rouquine eut la force d’ouvrir ses yeux lourds. Un sourire étira ses lèvres, quand elle vit la brunette à ses côtés. « Tu es belle. J’aime te regarder dans les couloirs… », murmura-t-elle d’une voix pâteuse. Génial, elle délirait à cause de la fièvre. Ça n’allait pas du tout être gênant, lorsqu’elle serait remise. Ailionora secoua la tête. « Dommage, que tu ne sois pas de la haute société et que tu sois une femme. je n’ai pas le droit d’épouser qui je veux… Mes parents seraient déçus et je ne serais qu’une folle, déviante et mal-aimée pour me tourner vers une femme comme toi... ». Un léger rire, rauque, s’échappa de ses lèvres. « Mais je t’aime bien ». Ok. Il ne valait mieux pas qu’elle se souvienne de ça.
 

« Sensationnelle ? », questionna la rouquine, ses yeux bruns illuminés par une lueur inhabituelle. De l’étonnement, de la surprise, de la tendresse, de la joie. C’est qu’elle n’avait pas l’habitude de ressentir tout ça, ce qui la fit paniquer. Pas folle ? Pas déviante ? Pas mal-aimée ? Bon sang, elle était aveugle. Il y avait tant de mauvaises choses, chez Ailionora. On n’avait eu cesse de lui répéter. Il n’y avait jamais assez, quand elle essayait de toujours être la meilleure. Première de la classe, ses notes n’étaient pas assez hautes et elle n’était pas assez intelligente. Légèrement agitée, elle n’était pas assez sage, pas assez posée, pas assez calme. Il fallait qu’elle soit forte mais sensible, assez pour se montrer empathique mais pas trop, pour ne pas se laisser atteindre. Il fallait qu’elle en fasse toujours plus, qu’elle se surpasse, tout ça pour qu’on lui répète que ça n’était pas assez. Alors non. Elle n’était pas sensationnelle. Liam, l’était. Il était génial, il était parfait. Elle, non. Ailionora n’était pas parfaite, pas sensationnelle. On ne l’aimait pas, et quand on la connaissait, on la trouvait folle (quoi qu'on ne la connaissait pas réellement, personne ne l'avait vu comme elle était). Elle était différente, elle cachait une force, un amour, une sensibilité et une douceur incroyable. Mais…Il lui était interdit d’exprimer ce qu’elle était, ce qu’elle voulait, sous peine de faire honte. Lâcher prise, ça lui était interdit.

Aili avait des parents très difficiles, très exigeants, presque tarés de faire subir ça à leur fille. La rouquine n’avait connu que ça, un foyer aimant lui paraissait tellement étrange et c’était réel, quand elle écoutait Micah. Au fond, ça la faisait rêver. Ça lui donnait envie. Elle aurait tout donné pour avoir des parents comme les siens. Des personnes aimants, ouverts, qui faisaient tout pour leurs enfants et pas pour leur réputation, leur honneur, leur égo ou leur argent. Alors qu’elle s’était ouverte, ses yeux pétillants de douceur à la première phrase de la brunette, Nora soupira légèrement. « Mes parents sont loin d’être ouverts d’esprit ». Ailionora se braquait, encore. Un pas en avant, dix pas en arrière. Il y avait quelque chose qui laissait penser qu’elle était quelqu’un de bien, la rouquine sentait qu’elle pouvait avoir confiance en elle. Néanmoins, comme d’habitude, elle ne pouvait pas s’en empêcher. Repousser, encore et toujours pour se protéger. On essayait d’enlever une brique de son mur ? Il fallait qu’elle en remette dix de plus, pour qu’on ne l’atteigne plus et dans un éclair de lucidité, entre deux poussées de fièvre, Ailionora double la mise. On l’avait habitué, à faire ça. C’était dans sa nature, maintenant. Sauvage, indomptable, impénétrable. Putain. Micah avait l’air d’avoir un pouvoir, une arme secrète. Ailionora luttait de toutes ses forces, pour qu’elle n’atteigne pas son cœur, pour qu’elle n’entrevoit pas ce qu’elle était réellement. Il fallait qu’elle soit forte, froide, distante. Nora n’avait pas le droit de suivre son cœur, il ne fallait pas que la brunette sache qui elle était, ce qu’elle pensait, ce qu’elle ressentait. Parce qu’elle-même, n’y avait pas le droit.  Elle l’aimait bien. Que c’était dur, d’entendre ces mots. Ils étaient si doux, si tendres et pourtant, tellement douloureux aux oreilles de la rouquine. Aimer, ça lui était interdit. L’amour, c’était son pêché mortel. Ça la rendait faible. Plus qu’elle ne l’était déjà. Son cœur souffrait de cette absence, son cœur criait d’embrasser cette belle femme, son cœur battait plus vite qu’il ne devait. Mais sa tête contrôlait tout, parce qu’elle irait en enfer, si elle aimait. Indépendamment de sa volonté, une larme solitaire roula sur sa joue. « L’amour, ce sera ma perte », se confia-t-elle, ses yeux croisant ceux de son interlocutrice. De toute façon, son cœur était déjà brisé par la haine, la douleur et la souffrance. Il était sûrement irrécupérable.